mercredi 18 février 2009

Quand la prothèse devient victime de la mode



Dans sa conception primaire, une prothèse reproduit autant que possible les formes et les fonctions du membre biologique perdu ou absent. Aux yeux de Hans Alexander Huseklepp, étudiant en design industriel, la prothèse doit élargir les capacités du membre initial et revêtir un style fort voire un côté « tendances » très marqué. C'est dans cette optique qu'il a développé Immaculate, prothèse esthétique faite de Corian (1), connectable au système nerveux central du porteur, dotée d'articulations sphériques omnidirectionnelles, intégrant une interface tactile d'optimisation gestuelle ... Et offrant consécutivement plus de possibilités qu'un bras normal.

Verra-t-on Karl Lagerfeld ou Viviane Westwood créer à son tour une ligne bionique ou apposer sa griffe sur des modèles de prothèses esthétiques ?

Avec son slogan « Form beyond function », le designer Colin Matsco dévoile d'emblée ses desseins. Grâce aux apports novateurs de l'impression 3D, il a conçu Air Jordan Prosthetic, prothèse aisément customisable destinée à l'athlète handicapé mâle urbain.

La recherche & développement de prothèses sportives - combinant ergonomie, légereté et esthétique - intérèssent vivement les athlètes paralympiques. En effet, ces substituts contribuent énormément à réduire pas à pas les écarts de performances avec les athlètes olympiques... Et « en jettent » sur les écrans de télévision et aux yeux des sponsors. D'ores et déjà, la vision d'un athlète paralympique infligeant une leçon à ses compagnons olympiques au 400 mètre haies ne relève plus de la science-fiction. Pensons au coureur sud-africain Oscar Pistorius – alias Blade Runner - dont les prothèses restituent plus de vitesse à chaque impact au sol (+30% selon le biomécanicien Gert-Peter Brüggeman mandaté par l'IAAF) que les jambes d'un athlète valide.

Sensibilité et interfaces tactiles, neuro-contrôle, optimisation automatisé du signal myoélectrique, articulations omnidirectionnelles... Aux États-Unis plus qu'en Europe, le marché de la prothésie est à la fois porté et submergé par la ruée vers l'or bionique, savamment expliquée par The New Scientist dans We have the technology to rebuild ourselves. Ce rush est du essentiellement à trois facteurs :

  • un taux de diabète élevé (maladie causant souvent des dommages nerveux et vasculaires),

  • la multiplication des blessures graves et des amputations subies par les Boys durant leur mobilisation sur le front irakien ou afghan,

  • l'intégration de micro-composants électroniques et d'éléments robotiques dans des membres artificiels neuro-contrôlés,

  • l'utilisation de biomatériaux et de matériaux intelligents,

  • et l'émergence de productions connexes et d'opportunités afférentes imbriquant prothésie, bionique, marketing et design.

Inspiré par le modèle de l'open source, Open Prosthetics Project – « la prothèse ne doit pas coûter un bras ou une jambe » - permet aux utilisateurs, aux concepteurs, aux designers, aux chercheurs, aux donateurs et aux investisseurs de partager et d'exploiter librement des concepts et des compétences, et ce, afin de favoriser les synergies entre prothésie, bionique et design et de doper une innovation bon marché. Les premiers résultats de cette ruée vers l'or bionique impactent d'abord la prothésie qui, à l'image de la chirurgie réparatrice, comporte également une vertu esthétique et s'enrichit peu à peu de capacités extra-fonctionnelles.

Dans quelques décénnies, le porteur d'un bras bionique mettra à jour sa couche logicielle - grâce une connexion wi-fi ou avec son PDAphone, téléchargera de nouveaux skins immédiatement activables, commandera un composant biomécatronique additionnel (barres-témoins d'effort et de fatigue intégrées) sur PimpMyArm.com... Et déploiera simplement son membre téléscopique dans une bibliothèque pendant que son compagnon « 100% pur muscle et os » emprunte l'escabeau.

(1) Utilisé pour les plans de cuisine et dans le design mobilier, le Corian est une matière composée de minéraux naturels et de résine, agréable au toucher, facile d’entretien, résistante aux chocs et aux rayures, aisément réparable et rénovable mais dont le défaut principal est de brûler à forte chaleur.

En savoir plus :

  1. Le Figaro : Oscar Pistorius n'ira pas aux Jeux Olympiques

  2. Sports Technology : Biomechanics of double transtibial amputee sprinting using dedicated sprinting prostheses (inscription + paiement)

  3. Sports Technology : Lower Extremity Leg Amputation: an advantage in running ? (inscription + paiement)

mercredi 4 février 2009

Cyborg Beetle



Vol agile, contrôle stable, faible consommation énergétique, feedback sensoriel, suivi de terrain... Dans tous ces domaines, les insectes volants dament encore le pion aux meilleurs biomimétismes. Plutôt que récréer microrobotiquement ces merveilleuses aptitudes, des scientifiques de l'Université de Californie – financés par le DARPA - ont opté pour une approche hybride : un microprocesseur et un récepteur radio fixés sur le dos d'un vrai coléoptère, six électrodes implantés dans ses lobes optiques et ses muscles de vol... Et un ordinateur portable émettant d'oscillantes pulsations électriques pour initialiser le décollage du Cyborg Beetle, de courtes pulsations alternées pour contrôler le vol, un curseur et/ou un joystick pour changer de direction et d'altitude.

Comparativement à maints insectes, les coléoptères et scarabées ont une meilleure solidité exosquelettique (chitine), un volume corporel plus élevé, une résilience organique plus conséquente et un vol moins complexe, papillons et libellules nécéssitant un streaming continu et sophistiqué de pulsations pour leur maintien dans les airs. Grâce à sa rustique anatomie, le Cyborg Beetle intègre mieux les matériaux microélectroniques et des systèmes ultra-miniatures d'observation comme une caméra et un détecteur thermique. L'armée américaine compte l'utiliser dans des missions de reconnaissance ou de search-and-rescue sur un champ de bataille difficile ou dans une zone contaminée par quelque dépôt radioactif/toxique.

Depuis belle lurette, la société française SILMACH et la Direction Générale de l'Armement ont codéveloppé la Libellule, remarquable microdrone de reconnaissance à ailes battantes de 6 cm d'envergure, de 20 mg de masse, doté de 180 000 nanomuscles artificiels et d'une motorisation électromagnétique (voir cet article de Spyworld Actu)

Du Cyborg Beetle américain à la Libellule française, la révolution microrobiotique militaire ne fait que commencer...